Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Plume Interactive : écriture web et ergonomie éditoriale par Eve Demange
20 janvier 2009

Eric Scherer : "Est-ce que les journalistes restent utiles aujourd’hui pour comprendre le monde ?"

Eric_Scherer

Le Directeur Stratégie et Relations extérieures de l’AFP, auteur de la passionnante étude AFP-Media-Watch "The Perfect Storm" parle de l’avenir de la presse en ligne. Lui qui a dirigé les bureaux de l’AFP en Amérique du Nord connaît bien le marché américain des médias, en avance sur l’Europe.

Les journalistes utilisent Internet en priorité pour leur collecte d’information comme le montre la dernière étude de Jakob Nielsen "Press Area Usability". Mais en France, la plupart ne mesure pas encore l’impact de la révolution numérique sur la profession, n’est-ce pas ?

Il existe un retard certain en France en ce qui concerne la prise de conscience de la révolution numérique par l’écosystème du journalisme. J’ai pu m’en rendre compte aux Etats généraux de la presse. J’intervenais dans le pôle Internet pour sensibiliser la profession sur l’ampleur des changements dans notre secteur liée à l’arrivée d’Internet.

J’ai constaté que les participants étaient surpris, étonnés. Ils ne se rendaient pas compte du phénomène de fond qui se produit en ce moment même dans les médias. Je parle des journalistes, mais aussi de l’encadrement, des patrons de presse. Quant aux rédacteurs en chef, ils sont tellement concentrés sur l’actualité qu‘ils n’ont pas le temps de prendre du recul.

La presse européenne, les italiens, les allemands, ne sont pas beaucoup plus avancés. Les américains s’avèrent plus en avance sur cette prise de conscience. Mais c’est parce qu’ils constatent déjà la faillite de l’équation économique traditionnelle, la chute de la diffusion, la migration de la publicité. Comme c’est le cas souvent, les vagues traversent l’Atlantique avec 18 mois de retard.

Et les US, ont-ils trouvé une équation économique satisfaisante ?
Non. Les journaux migrent sur Internet mais personne n’a encore trouvé le bon modèle économique. Par exemple, si le New York Times arrêtait le papier et se concentrait sur Internet, il ne pourrait faire vivre que 20% de sa rédaction. Ce qui signifie une dégradation de la qualité de l’information et du contenu de 80%.

Et les exemples de sites comme Aufeminin, Doctissimo ?
Ces modèles, que je ne connais pas très bien pour être honnête, sont de pures players. Ils n’ont pas l’héritage du passé. Ils innovent et conçoivent des modèles économiques nouveaux. Quand Ford a réussi dans la voiture, il n’était pas fabricant de diligences. Il était fabricant de voitures et il a donc réinventé un tout nouveau modèle. C’est la force des nouvelles générations.

Est-ce qu'il n'y a pas un trop grand gap de génération justement, de perception, de manière de penser ?
Oui, il existe un gap de génération, c’est incontestable. Les « vieux » journalistes comme moi doivent s’adapter à la nouveauté, sinon d’autres prendront la place des médias que nous connaissons actuellement.

Quelle est, d'après votre analyse, la nouvelle mission des journalistes à l'ère d'Internet ?
La fonction des journalistes reste identique sur de nombreux points :
- La collecte des infos, fondamentale, même si elle arrive désormais de partout et pas seulement des journalistes. Tout le monde peut filmer un événement avec son téléphone portable.
- la vérification et la mise en perspective de l’actualité
- l’analyse, même si les experts concurrencent de plus en plus les journalistes dans ce domaine
- l’organisation des conversations
- l’accompagnement, le filtre éditorial qui permet de pointer les informations essentielles, l’agenda des évènements importants de la journée. Le web ne le propose pas encore.
- par contre, le journalisme d’investigation va devenir de plus en plus difficile à financer

Mais les journalistes doivent continuer à jouer leur rôle de chien de garde de la démocratie.

Quelles sont les meilleures réussites à suivre en terme de media d'information/journal en ligne ?
Le NYTimes propose indéniablement un modèle de qualité, particulièrement exemplaire en ce qui concerne certaines pratiques comme l’écriture infographique. Le site couvre l’actualité et raconte les faits à l’aide de graphiques parfaitement clairs.

Il existe un retour en ce moment à ce que vous appelez "l’éditorialisation" de l’information. Les meilleurs exemples se trouvent du côté de sites comme the Beast http://www.thedailybeast.com/ et Huffingon Post http://www.huffingtonpost.com/  Ce magazine de blogs créé il y a 3 ans par Ariane Huffington, une candidate du parti démocrate, occupe désormais la première place des sites de news US.

Que pensez-vous de la vidéo et des résultats de l’Etude Eyetrack07 qui montrait que l’utilisation de la vidéo sur les sites de news s’avérait décevante ?
La vidéo permet indéniablement d’augmenter le temps passé sur un site. Je crois qu’il y en aura de plus en plus. Youtube est passé du statut de vidéo futile à celui de vraie porte d’entrée sur le web. On voit de plus en plus de vidéos sérieuses, intéressantes.  Après, il est vrai que les vidéos peuvent être intrusives dans la lecture. Tout dépend de l’attention, comment est gérée l’attention des lecteurs sur Internet.

Et le modèle de Seesmic ?
C’est intéressant. A suivre. Loïc Le Meur a beaucoup de monde mais pour l’instant, il n’a pas encore trouvé le bon modèle économique.

Comment voyez-vous l'avenir de la presse en France ?
Tout dépend si l’on pourra se réinventer, continuer à proposer une médiation entre le public et la réalité. Est-ce que les journalistes restent utiles aujourd’hui pour comprendre le monde ?
Ce qui est certain c’est que l’AFP va continuer à garantir un vrai label de rigueur, vérifier les faits, poser des balises sur l’océan des informations.

Lire aussi
Quel avenir pour la presse en ligne
Mais que font les journalistes ?

Publicité
Commentaires
E
Bonjour Narvic !<br /> Contente de vous voir sur PLUME Interactive :-)<br /> Bravo pour votre blog.
N
@ Yomquaille<br /> <br /> A propos de "la mentalité française qui veut qu'on garde pour soi les pépites qui feraient avancer tout le monde"...<br /> <br /> Eric Scherer me semble être justement un très bon contre-exemple : je vous recommande sa sélection hebdomadaire de "Liens vagabonds" du lundi, sur son blog AFP-Mediawatch. L'essentiel de ce qui s'est publié sur le net (surtout USA) au sujet de l'avenir des médias...<br /> <br /> http://mediawatch.afp.com/<br />
E
Yomquaille,<br /> Je suis assez d'accord avec vous. Mais si vous lisez les 134 pages d'infos et de bonnes idées rassemblées par Eric Scherer dans son étude, vous allez sûrement changer d'avis...
Y
On s'étonne d'être en retard mais si Eric Scherer était justement au fait des bonnes pratiques américaines, pourquoi ne les a-t-il pas diffusées auprès d'un panel d'experts de la presse française pour les mettre en garde et les inviter à corriger le tir rapidement ?<br /> <br /> La réponse tient - je le pense - à la mentalité française qui veut qu'on garde pour soi les pépites qui feraient avancer tout le monde, à l'inverse des américains qui diffusent plus facilement leurs découvertes, leurs savoirs. La lecture des blogs perso ou journaux d'informations américains est souvent beaucoup plus instructive que celle de nos experts. Alors, certes, les Américains sont en avance, ce qui explique qu'ils nous en apprennent plus, mais bien souvent il faut tirer les vers du nez aux éditorialistes pour découvrir les bonnes pratiques dans un coeur de métier ; question de facturation sans doute.
Newsletter
Publicité
Derniers commentaires
Archives
Publicité